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Mercosur : un jour oui, un jour non, où en sommes-nous ?

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Ce jeudi 1er février 2024, Emmanuel Macron a réaffirmé depuis Bruxelles l’opposition de la France à l’accord de libre-échange UE-Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay) « dans l’état des textes ». Cette prise de position est intervenue en pleine mobilisation du monde agricole demandant à ce qu’il soit mis fin à cet accord, et alors que les négociations pour finaliser l’accord UE-Mercosur s’intensifiaient à nouveau en cette fin de mois de janvier. Si la Commission européenne a reconnu que « les conditions nécessaires à la conclusion des négociations avec le Mercosur n’étaient pas réunies », elle a également tenu à préciser que les négociations se poursuivraient. L’accord UE-Mercosur n’est toujours pas abandonné. Et une grande confusion semble s’installer. Raison pour laquelle nous relayons ici la note de décryptage produite par l’Aitec : « Accord UE-Mercosur : Où en est-on du processus de négociation ? Qui le soutient en Europe ? Qui s’y oppose ? La France peut-elle le bloquer seule ? La France souhaite-t-elle son abandon ? » Décryptage.

La France a-t-elle bloqué l’accord UE-Mercosur ? L’a-t-elle enterré ? Plus tôt dans la semaine, l’Elysée avait annoncé l’arrêt des négociations avant d’être démenti par la Commission européenne. Cette séquence soulève de nombreuses questions :

  • Puisque l’accord a été annoncé comme finalisé et « accordé en principe » en juin 2019, que négocient encore les chefs négociateurs des deux blocs ? Ces négociations portent-elles sur le contenu même de l’accord ?
    Non, elles portent sur une annexe à l’accord et la Commission européenne a exclu de rouvrir les négociations sur le fond de l’accord. A aucun moment, la France n’a exigé l’arrêt de ces négociations pas plus que la récision du mandat avec lequel la Commission négocie.
  • Médias, parlementaires, organisations de la société civile ont-ils accès aux documents de négociation ?
    Non, ces négociations, comme toutes les autres, se déroulent en totale opacité.
  • L’exécutif français et plusieurs parlementaires Renaissance affirment que la France serait le seul pays à s’opposer à l’accord UE-Mercosur. Est-ce le cas ?
    Non. L’Autriche et les Pays-Bas s’y opposent avec des positions plus fermes que la France, ainsi que la Wallonie. L’Irlande vient de prendre clairement position contre l’accord également.
  • La France peut-elle, seule, bloquer l’Accord UE-Mercosur ?
    En théorie oui. En pratique, c’est bien plus compliqué puisque la Commission européenne dispose d’options légales pour contourner le veto français. De plus en plus de voix en Europe poussent en ce sens.
  • L’exécutif français doit-il se limiter à dire « Non à l’accord UE-Mercosur en l’état » à Paris ?
    Non. S’il est convaincu que cet accord n’est pas acceptable, il faudrait que Paris construise des alliances en Europe pour retirer le mandat de négociation dont la Commission dispose et/ou bloquer l’accord une fois finalisé. C’est possible.
  • La France souhaite-t-elle l’abandon de l’accord UE-Mercosur ? S’oppose-t-elle aux autres accords du même type ?
    Non, elle s’oppose uniquement à l’accord UE-Mercosur « en l’état », laissant ouverte la possibilité de soutenir une nouvelle version, et elle a soutenu, ratifié et mis en œuvre tous les autres accords.

Accord UE-Mercosur : où en sont les négociations ?

C’est le 28 juin 2019 que l’accord UE-Mercosur a été annoncé comme finalisé et « accordé en principe » par la Commission européenne et les pays du Mercosur, avec l’appui d’Emmanuel Macron pour la France. L’accord a donc été conclu et annoncé comme tel sous la présidence de Jair Bolsonaro, président d’extrême-droite du Brésil. Comme n’importe quel accord de libéralisation du commerce, tel que le prévoient les traités qui fondent l’Union européenne, c’est la Commission européenne qui a négocié cet accord au nom des 28, puis 27 Etats-membres de l’UE, dont la France, en s’appuyant sur un mandat de négociation que lui ont confié ces mêmes Etats-membres.

Le mandat de négociations date de 1999, soit du siècle dernier : il ne comporte aucun objectif de lutte contre le réchauffement climatique, de protection de la forêt ou de la biodiversité, pas plus qu’un objectif d’autonomie stratégique ou de relocalisation.

Mais contrairement à ce que laissent penser  beaucoup de commentateurs, il n’y a strictement aucun coup de force de la Commission européenne dans le choix de négocier cet accord : ce sont les Etats-membres qui lui ont confié cette responsabilité et aucun d’entre eux, jamais, n’a exigé de modifier le contenu de ce mandat, ni de le lui retirer. Pas plus qu’il ne lui a été exigé de rouvrir les négociations sur le contenu de l’accord.

Résultat : la Commission a toujours refusé de rouvrir les négociations sur le contenu de l’accord, et celui-ci n’a visiblement pas bougé d’une virgule depuis que l’accord a été annoncé comme conclu en juin 2019. La France qui dit s’opposer à « l’accord en l’état » n’a proposé ni de revoir le mandat de la Commission, ni de rouvrir les négociations sur le contenu de l’accord.

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Que négocient UE et Mercosur alors, actuellement ?

Si le contenu de l’accord n’a pas bougé d’une virgule depuis juin 2019, de quoi est-il question lors des sessions de négociations entre l’UE et les pays du Mercosur dont la dernière a eu lieu les 25 et 26 janvier dernier ?

Depuis sa conclusion, l’accord UE-Mercosur a suscité de nombreuses mobilisations et critiques de la part de différents secteurs : ONG, syndicats, associations, chercheurs et même collectivités territoriales, etc. A cela se sont ajoutées les politiques et pratiques de Jair Bolsonaro qui ont contribué à geler la finalisation de l’accord jusqu’à l’élection de Lula à l’automne 2022.
Cette élection de Lula a été interprétée par la Commission et les lobbys industriels européens comme « une fenêtre d’opportunité » pour conclure l’accord. Pour tenter de répondre, ou de désarmer, toutes les critiques prononcées à l’encontre de cet accord, la Commission européenne a proposé d’adjoindre à l’accord ce qu’elle a appelé « un instrument joint ». En français, on appelle cela une annexe.
Depuis un peu plus d’un an, la Commission européenne et les chefs négociateurs des pays du Mercosur négocient donc le contenu de cette annexe.

Que contient cette annexe ? La première proposition de la Commission européenne, longtemps restée secrète, mais dont nous avions pu décrypter une version fuitée, regroupe un ensemble d’engagements internationaux que l’UE d’un côté et les pays du Mercosur de l’autre ont pris dans des instances internationales en matière de lutte contre le réchauffement climatique, de protection de la biodiversité ou de respect des conventions de l’Organisation internationale du travail.

Elle donne du contexte, fournit des éléments additionnels pour l’interprétation en cas d’éventuels contentieux, mais ne change rien au contenu de l’accord lui-même. Ce texte ne crée aucune véritable obligation  nouvelle, ni aucun nouveau mécanisme disposant d’une force exécutoire.

Après des mois d’attente, une contre-proposition des pays du Mercosur a été progressivement rendue publique lors du second semestre 2023. Comportant des revendications portant directement sur le contenu même de l’accord, notamment en matière de libéralisation de l’accès aux marchés publics des pays du Mercosur, cette contre-proposition est depuis l’objet d’âpres et régulières négociations menées dans la plus grande opacité. Annoncées comme pouvant être conclusives dès décembre 2023, ces négociations ont repris de plus belle en janvier.
Si aucun document n’a été rendu public, plusieurs médias spécialisés ont annoncé que des progrès avaient été réalisés et que la Commission envisageait sérieusement de pouvoir annoncer la conclusion de ces négociations à l’occasion de la conférence ministérielle de l’OMC (MC13) qui se tient à Abou Dhabi fin février.

Durant les 12 derniers mois de négociation sur ce document annexe, l’exécutif français n’a pas jugé bon d’informer les parlementaires, les syndicats agricoles et les ONG, encore moins le grand public et les médias, du contenu des négociations et de son appréciation. A notre connaissance, il n’a jamais non plus exigé de la Commission européenne qu’elle arrête de négocier avec les pays du Mercosur, ni exprimé sa volonté de réviser ou retirer le mandat de négociation délivré avec le soutien de la France en 1999. Au contraire, son ministre du commerce a tenu des propos équivoques, notamment en déplacement dans les pays du Mercosur, pouvant indiquer que la France se résoudrait à conclure l’accord UE-Mercosur.

Quelle est la position des pays de l’Union européenne ?

Contrairement à ce que disent l’exécutif français et des parlementaires Renaissance, la France n’est pas le seul pays critique de l’accord UE-Mercosur en Europe. Ainsi, a minima, l’Autriche et les Pays-Bas s’opposent de longue date à cet accord, avec des positions plus dures que la France. Pays auxquels on peut ajouter la Wallonie. Ainsi que l’Irlande qui vient de prendre position. Détaillons :

  • Dès septembre 2019, les parlementaires autrichiens ont voté une résolution contraignante contre l’accord UE-Mercosur qui oblige le gouvernement à voter contre cet accord lorsqu’il sera soumis au Conseil de l’UE regroupant les 27 Etats-membres de l’UE. Cette position a été confirmée depuis.
  • Aux Pays-Bas, en juin 2020, les députés ont voté une résolution contre l’accord UE-Mercosur. En février 2023, ils ont fait mieux en votant une résolution qui appelle le gouvernement à voter contre l’accord tant qu’il comprendra un volet agriculture ; comme il ne saurait y avoir d’accord de commerce UE-Mercosur sans volet agricole, cette position revient à un NON sec contre l’accord.
  • Le Parlement de la Wallonie s’est exprimé contre l’accord UE-Mercosur depuis 2020, une position que le gouvernement wallon vient à nouveau de confirmer devant les agriculteurs belges.

Pourquoi les NON autrichiens et hollandais sont-ils plus forts que le « Non en l’état » de la France ?

  • La résolution autrichienne est contraignante ;
  • Le NON hollandais conditionné au rejet d’un volet agricole, revient à un NON sec, et pas à un « Non en l’état » comme la France.

La France n’est donc pas seule à s’opposer à cet accord en Europe. A rebours, de nombreux pays européens sont clairement favorables : Espagne, Portugal, Suède, République tchèque, Danemark, Estonie, Finlande, Italie, Lettonie etc.

Au sein du Parlement européen, la gauche et les Ecologistes sont contre l’accord, avec des particularités nationales, les sociaux-démocrates sont divisés mais avec plus de députés favorables, tout comme les libéraux, tandis que les conservateurs et l’extrême-droite sont plutôt favorables avec quelques eurodéputés contre. Enfin, d’une manière générale, les syndicats patronaux européens et nationaux sont favorables à une finalisation rapide de cet accord.

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Quelle est la position de la France ? Peut-elle bloquer l’accord UE-Mercosur seule ?

Présenté en juin 2019 par la Commission européenne comme « le plus grand accord commercial jamais conclu par l’UE », l’accord UE-Mercosur a initialement été jugé comme un « bon accord » par Emmanuel Macron. Quelques semaines plus tard, lors du G7 à Biarritz et sous pression des ONG, et alors que la forêt amazonienne brûlait comme jamais, Emmanuel Macron se ravise et la position française devient « Non en l’état ». Sans que l’exécutif ne décide de mener bataille pour réviser le mandat de négociation de la Commission, pas plus que pour enterrer l’accord UE-Mercosur.

En juin 2020, devant la Convention citoyenne pour le climat, Emmanuel Macron a même indiqué « avoir stoppé net les négociations avec le Mercosur ». Les négociations se sont pourtant poursuivies.

En septembre 2020, à l’occasion de la remise du rapport de la commission d’évaluation « Ambec » – rapport relativement critique sur le contenu de l’accord – le gouvernement a formulé trois «exigences » :
1) que l’accord ne provoque pas « d’augmentation de la déforestation » ;
2) que les pays du Mercosur respectent « leurs engagements au titre de l’Accord de Paris » ;
3) « que les produits agroalimentaires importés respectent les normes sanitaires et environnementales de l’UE ».

Une prise de position que la Commission européenne a interprétée comme une demande de précisions et de garanties et non comme une demande de réouverture des négociations sur le contenu de l’accord, ni de mettre fin aux négociations et d’enterrer l’accord.

Les ministres du commerce extérieur français, Franck Riester puis Olivier Becht, n’ont d’ailleurs cessé d’affirmer qu’il ne fallait pas « mettre à la poubelle » le résultat de 20 ans de négociations. Plus généralement, E. Macron et le gouvernement se sont longtemps comportés comme s’il suffisait de dire « non » à l’accord UE-Mercosur à Paris mais sans prendre d’initiative majeure pour le réviser et ou l’enterrer à Bruxelles.

Au printemps 2023, à l’occasion d’un déplacement au Brésil, le ministre délégué au commerce Olivier Becht a même affirmé vouloir « se donner du temps » pour finaliser l’accord UE-Mercosur, tout en précisant qu’il fallait « évidemment conclure » : « l’accord UE-Mercosur contient des dispositions très favorables à nos entreprises ; c’est pourquoi nous n’avons jamais été opposés à la signature de cet accord » avait-il précisé.

Le seul « Non » de la France pourrait par ailleurs ne pas être suffisant. Raison pour laquelle l’exécutif devrait chercher à constituer une minorité de blocage au sein du Conseil européen.

La France s’oppose-t-elle aux autres accords ?

Non. Jamais depuis l’arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron ne s’est opposé à la négociation, la ratification ou l’entrée en vigueur d’accords de libre-échange. Ce n’est pas l’occasion qui manquait, comme en témoigne la liste des accords :

Depuis l’arrivée d’E. Macron, quels nouveaux accords de libre-échange ?

  • Entrés en vigueur : Canada & Equateur (2017), Japon & Singapour (2019), Vietnam (2020) ,
  • Ratifié : Nouvelle-Zélande (2023) ;
  • Bientôt ratifiés/conclus : Chili, Mexique, Mercosur ;
  • En cours de négociation : Inde, Australie, Thaïlande, Indonésie, etc.

Chacun de ces accords, à des degrés divers en fonction du pays-tiers, de son niveau de développement et de la structure de son économie, comprend de nouveaux quotas d’importation-exportation agricoles et une libéralisation accrue du secteur agricole : pour exporter des biens et services produits sur le territoire européen, l’UE consent la plupart du temps à ouvrir son marché agricole. S’exprime d’ailleurs dans la mobilisation agricole le sentiment que l’agriculture devient « la variable d’ajustement » ou le « sacrifice nécessaire » à la finalisation d’un accord.

Manifestation agricole de janvier 2024

Par ailleurs, la libéralisation du marché agricole européen organisée par ces accords bilatéraux s’additionne, ou se substitue selon les cas, aux dispositions et quotas inclus dans le cadre de l’accord sur l’agriculture de l’Organisation Mondiale du commerce (160 membres). Dès lors, « la concurrence déloyale » exercée par des exportateurs agricoles provenant de pays tiers envers le monde agricole européen et/ou français, et qui a été justement dénoncée par la mobilisation agricole, ne saurait ni se résumer à l’accord UE-Mercosur, qui n’est pas en vigueur ni donc se résoudre en annonçant que la France « ne signera pas » cet accord.

Stratégie de la Commission pour contourner les oppositions, dont celle de la France

La Commission européenne a reconnu envisager une astuce procédurale visant à contourner l’opposition d’un certain nombre d’États membres de l’UE et de leurs parlements : le « splitting ». Négocié depuis 1999, l’accord UE-Mercosur est ce qu’on appelle un accord d’association : sa version finalisée ne peut théoriquement être adoptée que si tous les États membres de l’UE l’approuvent en réunion du Conseil à l’unanimité. En d’autres termes, chaque État membre dispose actuellement d’un droit de veto. En outre, les parlements nationaux et/ou régionaux de l’UE sont supposés pouvoir exercer leur droit d’approuver ou de rejeter l’accord au cours du processus de ratification se déroulant dans chaque pays.

L’astuce du « splitting » qu’envisage la Commission européenne conduirait à scinder le pilier commercial de l’accord UE-Mercosur du reste de l’accord. Au lieu d’un accord complet à ratifier, il y en aurait deux. Ainsi, la procédure de ratification du pilier commercial de l’accord serait modifiée : seule une majorité qualifiée de membres du Conseil des 27 Etats-membres pourrait alors suffire. Le droit de veto serait supprimé, et le Non français contourné. Le consentement de tous les États membres de l’UE ne serait plus nécessaire au Conseil, pas plus qu’une ratification nationale (vote aux parlements nationaux ou régionaux, ou autre.

Cette proposition est aujourd’hui suggérée et/ou soutenue par de plus en plus de décideurs politiques et économiques en Europe désirant ratifier cet accord UE-Mercosur quoi qu’il en coûte.
Récemment, c’est le lobby des constructeurs automobiles allemands qui a appelé à scinder l’accord UE-Mercosur en deux pour contourner les oppositions en Europe : les parties strictement commerciales de l’accord pourraient être appliquées provisoirement, suite à une ratification allégée.
Ce n’est pas nouveau : l’accord UE-Chili, signé en décembre, a été scindé en deux, avec une partie commerciale intérimaire qui sera considérée comme ratifiée dès qu’il sera approuvé par le Parlement européen.

Si une analyse juridique que nous avons co-publiée montre que cette pratique violerait le mandat dont dispose la Commission européenne, ce risque implique pour tout état désireux de « bloquer » les négociations avec le Mercosur de constituer au sein des 27 membres de l’UE une minorité de blocage, seule en mesure d’écarter ce risque. A notre connaissance, ce n’est pas ce que fait la France à Bruxelles.

Maxime Combes, économiste en charge des politiques de commerce et de relocalisation à l’Aitec (L’Aitec est membre et co-anime le collectif national Stop CETA-Mercosur)
Avec les relectures et remarques de Lora Verheecke, spécialiste de la politique commerciale européenne.

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